Imaginez-vous dans cette situation : vous désirez ardemment avoir un enfant, mais malgré tous vos efforts, la nature semble avoir d’autres plans. C’est alors que vous entendez parler de la gestation pour autrui, communément appelée GPA. Cette pratique consiste à ce qu’une femme, appelée mère porteuse, accepte de porter et de donner naissance à un enfant pour le compte d’un couple hétérosexuel ou homosexuel ou d’une personne seule.
À première vue, cela peut sembler être une solution prometteuse. Cependant, en France, la réalité juridique est tout autre : la GPA est strictement interdite. Mais alors, que font les couples français confrontés à cette situation ? Certains décident de se tourner vers l’étranger, où la pratique est légale dans certains pays.
Cette décision soulève de nombreuses questions juridiques complexes. Comment la loi française réagit-elle face à ces enfants nés par GPA à l’étranger ? Quels sont les droits de ces familles à leur retour en France ? Comment les tribunaux gèrent-ils cette situation délicate ?
Dans cet article, nous allons explorer ensemble les subtilités juridiques de la GPA en France. Nous examinerons l’état actuel de la législation, les évolutions récentes de la jurisprudence, et les défis auxquels sont confrontés les familles et les juges. Préparez-vous à plonger dans un sujet fascinant où le droit de la famille se trouve à la croisée des chemins entre l’éthique, la loi et les réalités humaines.
Un « non » catégorique inscrit dans la loi
En France, la position sur la gestation pour autrui est sans ambiguïté : c’est une pratique formellement interdite. Cette interdiction est solidement ancrée dans notre législation.
Le fondement légal de l’interdiction
Au cœur de cette interdiction, nous trouvons l‘article 16-7 du Code civil. Cet article énonce clairement :
« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle.«
Concrètement, cela signifie que tout contrat ou accord visant à organiser une GPA est considéré comme nul et non avenu aux yeux de la loi française.
Pour renforcer cette interdiction, l’article 16-9 du même Code civil précise que ces dispositions sont « d’ordre public« . Cette notion juridique signifie que ces règles s’imposent à tous, sans exception possible. Aucun arrangement privé, aucune convention ne peut y déroger.
Les principes protégés par la loi
Le législateur français a voulu protéger plusieurs principes fondamentaux, notamment :
1-L’indisponibilité du corps humain : l’idée que le corps humain, et notamment ses fonctions reproductives, ne peut faire l’objet d’un contrat ou d’une transaction.
2-La protection de la dignité de la personne : éviter toute forme d’exploitation ou de marchandisation du corps humain.
La France dans le contexte international
Cette position ferme de la loi française reflète un choix de société face aux questions éthiques soulevées par les techniques de procréation médicalement assistée. Cependant, il est important de noter que cette approche n’est pas universelle.
En effet, la situation juridique de la GPA varie considérablement d’un pays à l’autre. Par exemple :
- Certains pays européens, comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas autorisent la GPA sous certaines conditions, généralement de manière altruiste (sans rémunération de la mère porteuse au-delà des frais médicaux).
- D’autres pays, comme l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, ont adopté une position similaire à celle de la France en interdisant toute forme de GPA.
- Aux États-Unis, la situation varie selon les États, certains l’autorisant y compris à titre commercial, d’autres l’interdisant ou ne la réglementant pas. Il en est de même au Canada.
- En dehors de l’Europe et des États-Unis, des pays comme l’Inde, la Thaïlande ou l’Ukraine ont été des destinations populaires pour la GPA, bien que certains aient récemment durci leur législation ou restreint l’accès à leur seuls nationaux.
Cette diversité de situations juridiques à l’international crée un contexte complexe, notamment lorsque des couples français décident de recourir à la GPA à l’étranger. C’est là que commence un véritable casse-tête juridique pour les tribunaux français, confrontés à la nécessité de concilier l’interdiction légale en France avec la réalité des familles formées grâce à la GPA dans des pays où cette pratique est légale.
Quand la loi étrangère s’en mêle : le casse-tête des juges
Bien entendu, cette interdiction de la loi française n’a pas empêché certains couples de se lancer dans une GPA dans un pays où elle était autorisée.
Les juges français se sont donc retrouvés confrontés à la problématique suivante: est-il possible de reconnaître en France et faire produire en France des effets à une GPA régulièrement faite à l’étranger alors que c’est interdit en France?
Autant dire que la question de la reconnaissance en France des enfants nés par GPA à l’étranger a connu une évolution jurisprudentielle complexe. Examinons les étapes clés de ce parcours juridique.
2011 : Une position initiale stricte
Dans un premier temps, la Cour de cassation a adopté une position ferme. Elle refusait catégoriquement la transcription des actes de naissance étrangers des enfants nés par GPA sur les registres d’état civil français.
💡 Transcription : La transcription consiste à porter sur les registres d’état civil français un acte de l’état civil établi par une autorité étrangère.
2014 : L’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme
Un tournant majeur est survenu avec l’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme qui a condamné la France dans deux affaires. Celle-ci a estimé que le refus de reconnaître le lien de filiation entre les enfants nés de mère porteuse et leur père biologique portait atteinte à leur droit au respect de la vie privée.
2015 : Un premier assouplissement
A la suite de cette décision européenne, la Cour de cassation a assoupli sa position. Elle a accepté la transcription partielle des actes de naissance des enfants nés par GPA, mais uniquement pour le père biologique. La filiation à l’égard de la mère d’intention restait non reconnue.
💡 Mère d’intention: c’est le nom donné à la femme qui s’est engagée à devenir mère d’un enfant à naître par mère porteuse.
2019 : Vers une reconnaissance plus complète
La Cour de cassation a franchi une nouvelle étape en admettant la possibilité de transcrire intégralement l’acte de naissance étranger, y compris pour le parent d’intention.
2021 : L’intervention du législateur
La loi bioéthique de 2021 a modifié l’article 47 du Code civil, rendant plus complexe la transcription des actes de naissance étrangers.
En effet la loi exige que les faits qui sont mentionnés sur l’acte de naissance étranger ne soient pas contraires à la réalité.
Or, de fait, un acte de naissance consécutif à une GPA contient forcément des mentions contraires à la réalité puisque, notamment, la mère indiquée n’est pas la femme qui a accouché de l’enfant.
Avec l’article 47 du Code civil, la transcription d’un acte d’état civil étranger d’un enfant né de GPA est ainsi limitée au seul parent biologique, donc le père, le parent d’intention (mère ou père) devant passer par une procédure d’adoption.
La loi est donc venue restreindre les possibilités ouvertes au fil du temps par la jurisprudence de la Cour de cassation. Il n’est d’ailleurs pas à exclure que la Cour de cassation ait volontairement provoquer le législateur pour qu’il se positionne enfin…
Les solutions actuelles
Aujourd’hui, deux voies principales s’offrent pour établir la filiation des enfants nés par GPA à l’étranger :
1-L’adoption : Le parent d’intention peut alors adopter l’enfant.
🔎 On est dans la configuration où l’acte de naissance de l’enfant né de GPA a été partiellement transcrit en France: le père a été indiqué sur l’acte de naissance français mais pas le parent d’intention (père ou mère d’intention).
2-L’exequatur : Cette procédure permet de faire reconnaître en France un jugement étranger établissant la filiation et de lui faire produire tous ses effets. Il y a souvent un tel jugement dans le cadre des GPA faites à l’étranger.
🔎 Concrètement: les autorités étrangères ont rendu un jugement validant la GPA et disant qui sont les parents de l’enfant et l’acte de naissance de l’enfant est dressé ensuite. Au lieu de faire transcrire l’acte de naissance de l’enfant avec les difficultés que l’on vient de voir, c’est le jugement dont les parents vont demander la reconnaissance en France. Les conditions de vérification de la régularité internationale de la décision étrangère sont plus légères et il est donc plus facile d’obtenir l’exequatur qu’une transcription.
Cette évolution jurisprudentielle (notamment par deux arrêts de la Cour de cassation du 2 octobre 2024) et législative illustre la complexité de concilier l’interdiction de la GPA en droit français avec la nécessité de protéger l’intérêt des enfants nés de cette pratique à l’étranger. Le débat juridique reste ouvert, et de nouvelles évolutions sont possibles dans les années à venir.
Le débat continue
Malgré l’interdiction légale de la GPA en France, l’opinion publique évolue. Différents sondages (IFOP et CSA) effectués à l’occasion des dernières élections révèlent :
Une acceptation croissante
Les chiffres révèlent une tendance à l’ouverture :
Selon l’IFOP:
- 71% des Français sont favorables à la GPA pour les couples hétérosexuels;
- 56% pour les couples homosexuels.
Selon le CSA (qui ne distingue pas les configurations familiales):
- 59% des Français sont favorables à la gestation pour autrui (GPA), tandis que 41% ne le sont pas.
Les chiffres ne sont pas les mêmes, mais ils marquent un changement significatif dans la perception de la GPA par la société française.
Des opinions contrastées
Les deux sondages font ressortir des différences d’opinion selon le sexe des personnes interrogées (les femmes étant plus favorables que les hommes), l’âge (les moins de 35 ans y étant plus favorables) mais aussi selon les inclinaisons politiques (les sympathisants de gauche y sont plus favorables que les sympathisants de droite).
Ces différences d’opinion soulignent la complexité du débat et les divisions au sein de la société.
Arguments en présence
Le débat sur la GPA oppose des arguments variés :
Pour la légalisation :
- Égalité des droits parentaux;
- Encadrement d’une pratique existante à l’étranger;
- Reconnaissance des nouvelles formes de famille;
Contre la légalisation :
- Risque de marchandisation du corps des femmes;
- Questions éthiques sur le « droit à l’enfant »;
- Complications potentielles pour les enfants nés de GPA notamment sur le plan émotionnel.
Perspectives d’avenir
Malgré l’évolution de l’opinion, la légalisation n’est pas à l’ordre du jour en France. Le débat se poursuit, soulevant des questions complexes sur la conciliation entre désirs parentaux, protection des femmes et intérêt des enfants.
La GPA continuera d’alimenter les discussions, défiant notre société de trouver un équilibre entre progrès médical, évolution des mœurs et principes éthiques.